Et puis il y a les concours de nouvelles…
Cent vingt que recense Le Guide des Concours de nouvelles 2005-2007 (L’Encrier Renversé). Et peu, bien peu, pouvant se targuer d’une réelle dimension littéraire. Stéphane Laurent est l’organisateur de l’un de ceux-là. Sur son blog, à Voie de garage en 15 000 signes, il explique pourquoi il jette l’éponge :
“Sous mon bureau se trouve un amoncellement de papier de presque un mètre : les textes en cours de lecture d’un concours de nouvelles noires que j’organise depuis cinq ans. Ne les cherchez plus, les frustrés de l’édition, les ménagères à la plume du dimanche, les bourreurs de lignes, les spécialistes du poncif au kilomètre : ils sont sous mon bureau. Mais c’est fini : cinquième édition pliée, je rendrai mon tablier. Le combat s’arrête faute de combattants. De combattants valables, j’entends : pour cinq ou six tireurs d’élite, quelle piétaille incapable de différencier pied gauche et pied droit, et pas foutue de se faire tuer proprement ! Terminée, enfin, l’hypocrisie du palmarès : « tant de textes cette année ; que la compétition fut âpre et cruelle ! » Mensonge ! Tous les ans, cinq ou six textes volent à mille pieds au-dessus de la masse et se partagent sans le moindre mal un podium à trois places. Ils sont des dizaines à mettre leur espoir dans dix pages et 15 000 signes, mais le résultat est si pauvre que je sens poindre en moi une forme de mépris. Très mauvais, ça, le mépris. Vite, passer à autre chose…”
Qui s’est fourvoyé un jour dans le jury d’un tel concours ne viendra par contredire Stéphane Laurent… On aurait même envie d’en rajouter. Parce que, si les concours de nouvelles attirent aujourd’hui ce tragique tout-venant, c’est aussi qu’ils sont légion, ces gentils organisateurs de “manifestations littéraires”, faisant croire aux écrivants du dimanche que l’avenir leur appartient. La “piétaille”, oui… Il faut, pour alimenter un concours – aussi pour certaines revues dites “de création” – tant et plus de chair à canon. Alors la grande illusion – “pourquoi pas moi ?…” –, l’engrenage…
Aussi, pour le même prix, sans supplément sur les consommations, ce vade-mecum…
– Respectez à la lettre les Saints-Commandements peuplant les règlements :
“La Nouvelle se distingue des autres genres littéraires par ses qualités spécifiques :
Le sujet est original.
Elle n’est pas un récit de longue haleine s’étendant sur une vie, sur une guerre, sur des années. L’action embrasse une période de temps relativement courte (une heure, une journée, une semaine…)
Elle n’est ni légende, ni comte.
Les personnages sont peu nombreux.
Le rythme du récit est rapide et ne s’embarrasse pas de longs développements psychologiques et philosophiques.
Elle est ce difficile art de la concision, de l’essentiel, cette tension de l’écriture jusqu’à la chute qui fait souvent d’une anecdote un destin.”*
* [Authentique]
– Faites preuve du plus absolu fidéisme. Ne vous interrogez pas sur l’origine du texte sacré tant et plus photocopié, copié-collé. N’écoutez pas qui prétend que, pareil pensum faisant loi, Selby jr, Bukowski, Carver, Dixon ou Ravalec n’auraient pas publié une ligne.
– Soyez consensuels ! N’innovez en rien. Inspirez-vous du lauréat de l’année précédente, du texte dernièrement paru. Vous ravirez organisateurs et comités de lecture qui sont gens d’habitudes et augmenterez ainsi les chances d’arriver à vos fins. Tant pis si, au début de la longue chaîne à laquelle vous ajouterez un maillon sans surprise, était un texte de Quentin Flonflon. L’homme qui a écrit : “La porte fatiguée grinça de tous ses gonds alors que j’entrai l’âme en berne de joyeux rigodons ; hier, ici, je dansais sous les lampions.”
– Ne protestez jamais contre les thèmes imposés réduisant la nouvelle à un exercice de style puéril. Faîtes mine de vous réjouir quand vous lisez : “Cette année, le thème est… À la pêche aux moules… ; Quel beau dimanche !… ; Ça, c’est un vélo !… ; Dentier… ; Myosotis… ; Napoléon…”
De même, battez des mains aux incipit imposés : “À 6 heures, son panaris recommença à le lancer…” ; “Tout le monde était bien d’accord : il fallait remplacer la cloche de l’église…” ; “Si les Bogoliens continuaient de la sorte, la mobilisation deviendrait inévitable…”
À qui parle de “ploucoulipisme”, tournez prestement le dos.
– Chutez plan-plan. Cultivez la pirouette convenue :
La surprise de tante Aline
Tante Aline qu’on croyait pleine aux as, qu’on craignait dur qu’elle lègue tout au Petites Sœurs des Pauvres, ben elle avait plus un rond… l’avait tout croqué au casino…
Enfin réconciliés !
Voire… Ce ragoût que Monsieur apprécie tant, Madame, elle l’a préparé avec les meilleurs morceaux de Fidèle, le cabot de la discorde rapport à ce qu’il perd(ait) ses poils.
La chance de M. Georges
Georges, le clodo qui a trouvé un billet d’Euromillion dans le caniveau, après avoir rêvé dix pages de trois étoiles et de septième ciel, il le jette, le billet…
– Écrivez riche. Parcourez les dictionnaires des synonymes à la recherche des termes signalés “vieilli” ou “désuet”. N’écrivez pas : “Un emmerdeur !”, écrivez ; “Un esprit difficultueux…” ; n’écrivez pas “La crampe de l’écrivain”, écrivez “L’agraphie”, n’écrivez pas “Des nouvellistes alignant les formules”, écrivez “Des nouvelliers prolixes en apophtegmes”…
– Bannissez toute “vulgarité”, toute “pornographie”. Montrez-vous de bonne compagnie. Quand bien même le règlement ne le précise pas, l’élision morale est entendue. (Vulgarité et pornographie, c’est bien connu, ça troue le cul.) Eau de rose et parfums capiteux mis à part, rien ne doit suinter de votre plume. Vos personnages ignoreront tout de la grosse commission, idem pour la petite. Toujours, ils garderont leur slip.
– Et surtout n’oubliez pas : au royaume des écrivants-manchots, la couronne est promise à qui écrit avec les pieds.