Pathétique et toc [Howard Sounes sur Bukowski]

Combien de fois l’avais-je entendu, cette biographie de Charles Bukowski sous la plume de Howard Sounes – Locked in the arms of a crazy life – l’emportait sur toute autre, évitant les pièges de l’hagiographie, n’épargnant pas les travers du personnage…

Ladite biographie vient d’être traduite en français aux Éditions Du Rocher sous le titre Charles Bukowski – Une vie de fou… L’intéressé y apparaît en couverture comme on a rarement pu le voir : pincé, hautain, inquiétant. Il existe des dizaines de photos de Bukowski, toutes ne sont pas posées, loin s’en faut. Elles montrent l’écrivain sous bien des jours : souriant, saoul, grave, saoul, hagard, saoul, désespéré, saoul… Jamais tel que sélectionné par Sounes.

Et pour cause : la “biographie évitant l’hagiographie” est un pur produit du people anglo-saxon tel que le pratiquent les non moins anglo-saxons tabloïds. Certes, un livre à charge sur Bukowski ne serait en rien gênant. Mais le livre de Howard Sounes n’est pas à charge, il est – selon la sémillante terminologie journalistique – “anglé”… Suivant les méthodes éprouvées de la presse à scandales, diverses méthodes sont alors à l’œuvre. À ce titre, les légendes du cahier-photos – bien des lecteurs n’iront pas plus loin – sont d’une grande éloquence. Toujours, il s’agit de présenter comme révélation ce qui est parfaitement connu. Et ce, pour mieux faire passer l’insinuation sans laquelle point de scandale…

“Le poète Steve Richmond resta un ami proche pendant des années mais trouvait hypocrite l’attitude de Bukowski vis-à-vis des drogues.”

Il convient ici, comme dans le reste du livre – “Bukowski n’avait pas eu le temps de se droguer mais il était complètement saoul.”, etc. –, de laisser entendre que le personnage fut toxicomane. (Il est vrai que Steve Richmond sait de quoi il parle, lui, adepte revendiqué du LSD, qui affirma avoir vu Bukowski, au cours d’une soirée, réduire à la taille de 75 cm…) Mais comme dans le cas de Gainsbourg, l’alcoolisme ne suffit pas. Et tant pis si la toxicomanie révélée consiste en “pas mal d’herbe à la fin des années soixante […]” et “son unique trip sous LSD” — dont l’intéressé ne fait pas mystère dans ses nouvelles, pour mieux affirmer d’ailleurs, au final, son opposition aux drogues.

“Le poète beat et écrivain Gay Harold Norse créa une controverse en révélant que Bukowski lui avait montré son pénis et lui avait demandé d’en faire autant.”

Oui, comme bien d’autres, Bukowski déballait la boutique quand il était ivre ; chose connue entre toutes. Mais sous-entendre une homosexualité latente est autrement vendeur… Et tant pis si l’homosexualité révélée – mais au fait, où est le problème ? – consiste, manifestement, en quelques expériences dont l’intéressé ne fait pas mystère non plus dans ses nouvelles.

“Joanna Bull se sentit si mal après avoir fait l’amour avec Bukowski qu’elle en vomit.”

S’il faut commenter, c’est que le malsain, l’ignoble, touche ici au grotesque. En guise d’enquête, Howard Sounes joue principalement des rancœurs des ex-compagnes de Bukowski décrites dans Women. Ainsi de Joanna Bull : “[…] un corps correct […] Sa conversation m’ennuyait et, la plupart du temps, son rire était faux et sonore.” L’intéressée ne manquant pas alors de se cabrer – “Nous avions des discussions passionnées et j’avais un corps magnifique !” — et, à l’invitation de Sounes, se venger…

“Jo Jo Planteen, une jeune admiratrice que Bukowski essaya de séduire à la fin des années soixante-dix.”

Sans doute le nom de l’intéressée, prédestiné à l’évocation du détournement de mineur, ne suffisait-il pas. Jo Jo Planteen apparaîtra donc sur la photo juvénile en diable, adolescente… Sans plus de commentaire, le corps du texte nous apprend pourtant qu’âgée de 22 ans, c’est elle qui contacta Bukowski “par défi” !

“Le poète William Wantling se saoula jusqu’à la mort après la publication d’un texte sarcastique de Bukowski sur son compte. Ce dernier essaya de séduire sa veuve éplorée, Ruth, qui ne lui pardonna jamais.”

Il fallait bien y arriver… Sur la fameuse nouvelle de Bukowski visant, dans son style habituel, William Wantling – décrit par Soumes comme souffrant “d’une terrible dépendance à la drogue et à l’alcool” – greffer l’accusation de meurtre par procuration… On reste alors ébahi devant l’argumentation fournie par le texte lui-même : “Bien que Wantling n’ait peut-être pas eu l’occasion de lire cette nouvelle, Ruth pense qu’il en entendit parler. Ses nombreux amis de L.A. l’avaient sans doute averti. Moins de deux semaines après la parution de la fin de la chronique, Wantling était mort.

Mais Howard Sounes ne fait pas que pratiquer le faux scoop, l’insinuation, la diffamation… Plus simplement, il ment par omission. Ainsi met-il en scène, pour les besoins du flétrissement, la fameuse lecture publique au City Lights Book de San Francisco en septembre 1972 :

 “ »On se connaît ? demanda-t-il à un fan qui l’interpellait à haute voix. Ne me bouscule pas, bébé…, dit-il d’un ton menaçant avant de se fendre d’un large sourire. Encore une bière et je vous prends tous ! » Il rejeta la tête en arrière, exposa sa dentition en ruine et gloussa « Ah ! Ah ! Ah ! Faites gaffe ! » Un autre spectateur tenta de monter sur scène. « Putain, qu’est-ce que tu veux, mec ? Dégage ! s’écria Bukowski comme s’il parlait à un chien. Qu’est-ce que t’es ? Un genre de vicelard ? »”

 La suite à l’avenant, toujours insistant sur la laideur physique du personnage, décrivant un malade mental en crise, prêt au passage à l’acte… Locked in the arms of a crazy life, n’est-ce-pas… Quand Howard Sounes publia son livre, en 1998, il n’était pas facile de contrôler ses dires. Aujourd’hui, après la sortie du documentaire Bukowski (Pretty Pictures, 2004), de John Dullaghan, on sait ce qu’il en est de cette lecture au City Lights Book. Et l’on comprend que Howard Sounes a sciemment choisit d’éluder les raisons de ce début d’altercation :

“Je ne me laisse pas faire. Je commence à lire mon poème. J’entends la voix de ce type s’élever par-dessus mon poème. Je vais me diriger vers lui et le foutre hors de la ville physiquement. Je vais le foutre dehors à coup de pied au cul. Alors fais gaffe ou je te démolis, mother fucker !”

Howard Sounes – qui n’a jamais rencontré Bukowski – n’a que faire de la réalité. La nature humaine lui est étrangère… Il méconnaît ce que les femmes délaissées racontent de leurs anciens amants… Il feint de tout ignorer de l’âme des poètes… Ne veut pas savoir ce qui peut se passer dans les bars… Et frémit à l’évocation des concours de bites… Comme tous les menteurs sans talent, Howard Sounes est pathétique. Et toc.

Charles Bukowski

A propos Renaud Marhic

Journaliste indépendant, Renaud MARHIC a collaboré à des publications choisies (Charlie Hebdo, Le Vrai Papier Journal, etc.). Essayiste, romancier, auteur jeunesse, il a publié une vingtaine d’ouvrages chez divers éditeurs. Grand amateur de récits folkloriques et légendaires – pour ce qu’ils révèlent de l’humain –, Renaud MARHIC vit en Bretagne. Devenu le “Petit Reporter de l’Imaginaire”, sa série Les Lutins Urbains met à l’honneur un “merveilleux merveilleusement incorrect”, invitant le jeune lecteur à une réflexion sur quelques thèmes universels, sans moralisme, en tout humanisme.
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