Il y a des commerces pour téléphoner au pays, un Monoprix gardienné comme une banque, des bars sans quartier. Aux carrefours, quelques brasseries à loufiats voudraient relever le décor.
Cinq hectares moquettés de bleu. Galigrasseuil ou Morpion Éditions. Dans l’intérêt commun, l’armée vigile veille. “Bienvenue au Salon de la Fauche”, se marre une exposante.
Avenue de Saint-Ouen. Vieillarde momifiée dans ses hardes. 3°c et ça descend encore. De jeunes touristes italiens – mi-concernés, mi-batteurs de semelle – forment une manière de cercle. À l’ouverture, une blonde parlemente accroupie. La momie réplique en anglais rapide. Pas né qui la fera bouger.
Il traîne à son train un caddie ; de quoi rempli ? Fort accent Luxembourgeois, tout en gentillesse, il salue l’assemblée ; de qui lui répond s’enquiert de “la petite santé”. Il s’exalte un instant pour demander un “catalogue analytique”. S’inquiètent mes Lutins ; vite rassurés, pas eux qu’on va analyser…
Place Clichy. Chaîne de restauration dédiée viande grillée. On fine bouche sur mon look, je scrute alentours ; personne à me ressembler. Cosmopolitisme a ses limites. (En réserve de ma probité, carte bancaire et chéquier ; panoplie élimée sauvée du désastre.)
Chevelure grise, pentacles et gris-gris en babioles, elle veut savoir si c’est bien Merlin, là, un peu parti de la citrouille, en couverture. Renseignée à l’affirmative, elle rejette mon ouvrage sur sa pile ; en l’absence du courage nécessaire à me l’envoyer à la tête. “Pas étonnant qu’on soit dans la merde”, grince-t-elle talons tournés.
Transit. Rue Saint-Denis. Un hot-dog. On me propose, pleine chaussée, “un peu à fumer”… Mes Lutins rigolent.
Suis là pour écrire sur mes écrits ; faute de goût assumée. Puisqu’aussi bien il faut signer, spéciales dédicaces à Chieh Wen et Mandjou.
Bessières. Au bar du coin, 8 Arabes pour 2 Européens. Raï et Star’Ac. Une vieille pocharde a été belle. On m’offre – “Monsieur…” – des cacahuètes grosses comme pois chiches.La Pelforth à 2 euros…
Il débarque micro en main ; France Bleue les Bains de Pieds. Trois pages de questionnaire. Du Petit Bêtisier Féerique veut tout connaître. Fin d’interview, question loucedé : “On peut donc rire du sacré ?” Mon éditeur me considère interloqué. Difficile de lui expliquer que, non, j’ignore tout du pertinent intervieweur.
Au bar du coin – 9 Arabes pour 1 Européen. Une femme en hidjab brave l’obscurité pour un café prétexte à makrouts. On m’offre, dans la foulée “quelques gâteaux du pays”. Ici, qui ne peut payer le dernier verre payera – “bonne soirée” – la prochaine fois.
De loin en loin, on m’agite sous le nez – bibliophile ou quémandeur de comptes – des livres d’avant, des ouvrages d’autre vie. Un peu qui – métempsychose ! – interroge la pierre ponce : “Alors Marcel ! Quoi d’neuf depuis Dunkerque ?”
Au bar du coin – merde au choc des cultures ! – les toilettes sont réservées aux clients. Derrière le comptoir, la clé du verrou pend, minuscule, au bout de quatre anneaux contondants.
Je signe pour le petit Simon, Breton, et Noir. “Il y a une chose qu’il ne comprend pas bien : tous les Lutins sont blancs…” Mes Lutins réclament en chœur, au plus vite, la publication des us et coutumes de leurs cousins africains.
Au bar du coin – choukran ! – qui cherche les ennuis initie un ballet où patron et clients sont autant de forces motrices dont l’éconduit ne réalisera les mécanismes qu’une fois sur le trottoir.
Où sont E3 ? B6 ? J9 ? Je ne le sais pas. Non, ce livre-là n’est pas de moi. Un musée susceptible d’accueillir une tortue géante empaillée ? Désolé, je ne vois pas.
De 17 en 15e. Dernière nuit sans étoile – Gnome Palace ; pour plaire à mes Lutins ne pouvais pas faire moins.
Sortie définitive. Vigile. Contrôle du sac. Ton de petit kapo ; je stigmatise. Décontenancé, il trouve la réponse professionnelle adaptée : mon regard. Délit de sale gueule. (Quoi que… Pour lire, oui, je pourrais voler.)
Mon Salon du Livre Paris 2006…