Écrivain du charbon

“Écrivain du placard”, je le suis sans conteste (cf. MERCREDI 13 AVRIL 2005).

Je dois aussi me reconnaître cette autre identité : écrivain du charbon. Du moins, à en croire ceux pour qui aller au-devant du public revient à se salir les mains.

“Vous avez devant vous les gens qui passent, qui prennent vos bouquins comme ça. Alors ils sont là, avec le bouquin. Vous êtes là. Il y a la photo sur le bouquin, donc ils comparent vaguement si vous êtes mieux ou moins bien. Ils tournent et puis ils commencent à le lire. Et puis après ils sont gênés, alors vous avez en face de vous quelqu’un qui est gêné. Vous êtes vous-même hypergêné. Alors il ne sait pas s’il doit le reposer ou s’il doit… Il y en a, je suis sûre, qui ne l’achètent que parce qu’ils n’osent pas le reposer. C’est horrible, horrible. Non seulement ça n’a aucun intérêt, mais c’est humiliant. Je déteste ça…”

Les Salons du Livre selon Brigitte Giraud,Le Nouvel Observateur, 31 août 2006

On l’a compris, ce n’est pas parce que Brigitte mange de la tête de veau qu’elle estime devoir côtoyer les bœufs.

Salons du livreChaque année, je signe plusieurs centaines de mes ouvrages dans de grands et petits lieux – parcs d’expositions parisiens ou salles polyvalentes de village. Il est vrai que l’exercice est périlleux. Comme l’a bien remarqué Brigitte Giraud, l’écrivain se trouve alors confronté à cette étrange espèce : le lecteur. Espèce qui, la chose ne lui a pas plus échappé, se montre capable de tout – allant, aux pires extrémités, jusqu’à se saisir des “bouquins comme ça…” ; “horrible, horrible”, n’est-ce pas…

Oui, le lecteur est cela, ce charbon ardent. Cyclique, pour une farce ! Capable, d’année en année, d’un salon l’autre, de revenir vers l’écrivain, de lui dire quoi ou qu’est-ce.

Le lecteur en empathie… Ainsi souvent de mes Lutins : là, en remède à l’insomnie – “Pour m’emdormir, un p’tit lutin, ça me fait du bien, vraiment” – ici, infestant les repas de famille – “On en parle au dessert, vous savez…

Le lecteur qui n’est pas entré… Ainsi parfois de mes romans : “Votre bouquin, là, j’ai rien compris…” “Vous écrivez bizarrement…” Et méditer alors l’avertissement terrible d’un Jean-François Kahn :

“Cela me fait mal de le dire, mais nous allons devoir changer notre mode d’écriture. Il y a un type de phrase qui est mort. Je le regrette, parce que je suis d’une génération qui aime ces phrases cicéroniennes, c’est-à-dire une phrase construite, longue, avec des incidentes. Il faut des phrases plus courtes. Mais surtout intégrer que tout accident grammatical rend la phrase moins accessible. S’il y a huit ou neuf mots après le sujet, eh bien il faut répéter le sujet. Les gens ne connaissent plus beaucoup des mots que nous employons. […] Beaucoup de gens de moins de 40 ans n’ont plus les références d’avant. Je reçois des lettres de lecteurs qui me disent qu’ils ne comprennent pas tout ce que j’écris. J’avais parlé du boulangisme, en référence au général Boulanger, ils pensaient que j’évoquais un pâtissier.”

Le Monde, 6 janvier 2008

“Écrivain du charbon”, oui, pas de doute…

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Résistance

Appel du Conseil National de la Résistance.

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Des poètes et des couilles – en avoir ou pas…

En privé, le Poète de Matignon se vanterait d’avoir des couilles…

“Avoir des couilles”, en langage de mâle dominant, signifie, au mieux, le courage, au pire, la faculté de triompher d’autrui selon la loi du plus fort. Pour rester dans cette logique, le Poète de Matignon, bien sûr, n’a pas de couilles ; juste le ridicule de qui persuadé du contraire.

On peut feindre la surprise.

On nous avait pourtant bien prévenus.

Jourde&Nolleau

“Dominique de Villepin est né le 14 novembre 1953 à Rabat, au Maroc. Son enfance, telle qu’il en donne un aperçu dans Éloge des voleurs de feu, fut celle, banale, d’un jeune Français comme les autres. Le petit Dominique se promène les poches bourrées de poèmes griffonnés « sur de tout petits bouts de papier ». Parfois, au lieu de manger son quatre-heures, il convoque des mains élues ou des faces sacrées :

« Pareil à l’enfant primitif, au rendez-vous des puissances tutélaires et des forces augurales, autour du feu crépitant des rimes douces ou sèches, je convoquais les faces sacrées, les mains élues, les noms glanés sur les chemins buissonniers du premier âge, quand tout reste encore à inventer. Pour rien au monde l’enfant poème ne se fût séparé de son invisible et secrète armure, pas plus qu’il n’eût imaginé de plus beau goûter, de plus grand trésor. Il y avait l’espace infini, les lucarnes du ciel et de la mer. Il y avait l’absence et l’effroi et, pour les conjurer, tous ces mots de couleur.»

Pendant ce temps, la mère de l’enfant-poème, « penchée sur de hauts et volumineux grimoires », recopie des textes. L’essayiste n’en dit pas plus, mais on imagine volontiers la vie quotidienne de la paisible petite famille, la mère allant cueillir au crépuscule des simples et des racines de mandra­gore, le père domptant des cavales écumantes, la sœur errant sur la lande en psalmodiant d’anciennes mélopées, la bonne traduisant Swedenborg, etc.

L’enfant-poème poursuit ses rêves : licence de lettres, ENA. Il devient Secrétaire général de la présidence de la Républiqueen 1995, et, en 2002, ministre des Affaires étrangères sous la présidence du magicien Jacques Chirac […].

Pour l’incendiaire du Quai d’Orsay, la poésie a ceci d’ori­ginal qu’elle est différente. Et cette différence tient d’abord à son caractère « rebelle ». Autre originalité. L’idée revient sans cesse et sous divers vocables, subversion, insoumissio­n, sédition, révolte, sécession : « La révolte devient poésie », « Rage ! Rage du verbe qui s’élance… », « Le poème recueille les forces vivantes, braise indocile et lente ». Il y a pour la poésie une « règle d’insoumis­sion », qui ne va pas sans graves périls : « Cette parole naît du plus grand danger », elle fait naître « l’épouvante des gouffres » […]. Selon des sources bien informées, cette violence a provoqué des tensions au sein même du gouver­nement. L’affirmation de Villepin selon laquelle la poésie des voleurs de feu est « inséparable de toute révolution » a suscité l’émoi de plusieurs ministres. Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a d’ailleurs publiquement promis l’ « impunité zéro » pour les voleurs de feu, et l’ar­restation de la plupart d’entre eux. Le ministre des Affaires étrangères a dû expliquer que la rébellion dont il parle est purement verbale. Il ne s’agit que d’emporter « tous les hommes dans une danse tourbillonnante », de « faire rouler la clé des chants ». Le gouvernement de M. Raffarin a été rassuré par ces précisions […].”

Le Jourde&Naulleau – Précis de littérature du XXIe siècle,

Pierre Jourde – Éric Naulleau, Mots et Cie, 2004

Ceci rappelé, reste cette question qui nous laisse – nous, poètes –, à la suite de Dominique de Villepin, tout sens dessous dessus :

“En avoir ou pas ?”

À l’instar d’Hemingway, Cendrars en avait ; bien que, un bras perdu, il passa pas mal de temps à se les gratter, de la main restante, en cabine transatlantique trois étoiles ou wagon Pullman de luxe.

Et puis, serions le plan, force est de le constater : Frédérick Houdaer en a. Parce qu’il en faut, au poète, pour ÇA !

Mais cela ne nous dit pas si Frédérick est disponible pour Matignon.

C’était notre rubrique Des poètes et des couilles – en avoir ou pas…, merci de votre attention, à mardi dans la rue, bonsoir.

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Internationale

Vu hier des gamines chanter l’Internationale à la manif. Ai voulu croire que tout n’est pas perdu.

Internationale

 

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Mon Salon du Livre Paris 2006…

Il y a des commerces pour téléphoner au pays, un Monoprix gardienné comme une banque, des bars sans quartier. Aux carrefours, quelques brasseries à loufiats voudraient relever le décor.

Cinq hectares moquettés de bleu. Galigrasseuil ou Morpion Éditions. Dans l’intérêt commun, l’armée vigile veille. “Bienvenue au Salon de la Fauche”, se marre une exposante.

Avenue de Saint-Ouen. Vieillarde momifiée dans ses hardes. 3°c et ça descend encore. De jeunes touristes italiens – mi-concernés, mi-batteurs de semelle – forment une manière de cercle. À l’ouverture, une blonde parlemente accroupie. La momie réplique en anglais rapide. Pas né qui la fera bouger.

Il traîne à son train un caddie ; de quoi rempli ? Fort accent Luxembourgeois, tout en gentillesse, il salue l’assemblée ; de qui lui répond s’enquiert de “la petite santé”. Il s’exalte un instant pour demander un “catalogue analytique”. S’inquiètent mes Lutins ; vite rassurés, pas eux qu’on va analyser…

Place Clichy. Chaîne de restauration dédiée viande grillée. On fine bouche sur mon look, je scrute alentours ; personne à me ressembler. Cosmopolitisme a ses limites. (En réserve de ma probité, carte bancaire et chéquier ; panoplie élimée sauvée du désastre.)

Chevelure grise, pentacles et gris-gris en babioles, elle veut savoir si c’est bien Merlin, là, un peu parti de la citrouille, en couverture. Renseignée à l’affirmative, elle rejette mon ouvrage sur sa pile ; en l’absence du courage nécessaire à me l’envoyer à la tête. “Pas étonnant qu’on soit dans la merde”, grince-t-elle talons tournés.

Transit. Rue Saint-Denis. Un hot-dog. On me propose, pleine chaussée, “un peu à fumer”… Mes Lutins rigolent.

Suis là pour écrire sur mes écrits ; faute de goût assumée. Puisqu’aussi bien il faut signer, spéciales dédicaces à Chieh Wen et Mandjou.

Bessières. Au bar du coin, 8 Arabes pour 2 Européens. Raï et Star’Ac. Une vieille pocharde a été belle. On m’offre – “Monsieur…” – des cacahuètes grosses comme pois chiches.La Pelforth à 2 euros…

Il débarque micro en main ; France Bleue les Bains de Pieds. Trois pages de questionnaire. Du Petit Bêtisier Féerique veut tout connaître. Fin d’interview, question loucedé : “On peut donc rire du sacré ?” Mon éditeur me considère interloqué. Difficile de lui expliquer que, non, j’ignore tout du pertinent intervieweur.

Au bar du coin – 9 Arabes pour 1 Européen. Une femme en hidjab brave l’obscurité pour un café prétexte à makrouts. On m’offre, dans la foulée “quelques gâteaux du pays”. Ici, qui ne peut payer le dernier verre payera – “bonne soirée” – la prochaine fois.

De loin en loin, on m’agite sous le nez – bibliophile ou quémandeur de comptes – des livres d’avant, des ouvrages d’autre vie. Un peu qui – métempsychose ! – interroge la pierre ponce : “Alors Marcel ! Quoi d’neuf depuis Dunkerque ?

Au bar du coin – merde au choc des cultures ! – les toilettes sont réservées aux clients. Derrière le comptoir, la clé du verrou pend, minuscule, au bout de quatre anneaux contondants.

Je signe pour le petit Simon, Breton, et Noir. “Il y a une chose qu’il ne comprend pas bien : tous les Lutins sont blancs…” Mes Lutins réclament en chœur, au plus vite, la publication des us et coutumes de leurs cousins africains.

Au bar du coin – choukran ! – qui cherche les ennuis initie un ballet où patron et clients sont autant de forces motrices dont l’éconduit ne réalisera les mécanismes qu’une fois sur le trottoir.

Où sont E3 ? B6 ? J9 ? Je ne le sais pas. Non, ce livre-là n’est pas de moi. Un musée susceptible d’accueillir une tortue géante empaillée ? Désolé, je ne vois pas.

De 17 en 15e. Dernière nuit sans étoile – Gnome Palace ; pour plaire à mes Lutins ne pouvais pas faire moins.

Sortie définitive. Vigile. Contrôle du sac. Ton de petit kapo ; je stigmatise. Décontenancé, il trouve la réponse professionnelle adaptée : mon regard. Délit de sale gueule. (Quoi que… Pour lire, oui, je pourrais voler.)

Mon Salon du Livre Paris 2006…

Salon du Livre de Paris 2006

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Conteur

[…] un seul conteur pour cent mille baratineurs”

La Ballade du mois d’août 75, Charlélie Couture, Island Records 1981

Oui, c’est exactement cela.

Charlélie Couture

 

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Écrivant

Il aura suffit de l’embrasement de quelques blogs…

Démêler l’écrivain de l’écrivant…

Contribution :

“ÉCRIVANT, subst. masc. ÉCRIVANT, ANTE, part. prés., adj. et subst. masc.
Emploi adj., rare. [En parlant d’une pers.] Péj. Qui écrit trop et n’importe quoi.
‘Les règles de la poésie et de l’éloquence, destinées à modérer la folie bavarde et écrivante.’ (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 299).”

“ÉCRIVAIN, subst. masc.
Celui, celle qui compose des ouvrages littéraires.
‘Il faut savoir, bien sûr, que l’on décide d’être un écrivain. En avoir les capacités, voire quelques preuves enfermées dans un tiroir, ne signifie rien tant que l’on n’est pas résolu. Au talent supposé, il faut ajouter la volonté – je dirais presque à parts égales.’ (DJIAN, Ardoise, 2002, p.75).”

Je n’y reviendrai pas.

Écrivain-écrivants

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La poésie

Pour tenir.

Pypo l'intello© “Dimanche en 9 manches”, in “William Vaurien – Embrouille au Pypoland”, Tramber, Les Humanoïdes Associés, 1984.

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Vade-mecum à l’usage des participants aux concours de nouvelles et aux nouvellistes candidats à la publication en revues

Et puis il y a les concours de nouvelles…

Cent vingt que recense Le Guide des Concours de nouvelles 2005-2007 (L’Encrier Renversé). Et peu, bien peu, pouvant se targuer d’une réelle dimension littéraire. Stéphane Laurent est l’organisateur de l’un de ceux-là. Sur son blog, à Voie de garage en 15 000 signes, il explique pourquoi il jette l’éponge :

“Sous mon bureau se trouve un amoncellement de papier de presque un mètre : les textes en cours de lecture d’un concours de nouvelles noires que j’organise depuis cinq ans. Ne les cherchez plus, les frustrés de l’édition, les ménagères à la plume du dimanche, les bourreurs de lignes, les spécialistes du poncif au kilomètre : ils sont sous mon bureau. Mais c’est fini : cinquième édition pliée, je rendrai mon tablier. Le combat s’arrête faute de combattants. De combattants valables, j’entends : pour cinq ou six tireurs d’élite, quelle piétaille incapable de différencier pied gauche et pied droit, et pas foutue de se faire tuer proprement ! Terminée, enfin, l’hypocrisie du palmarès : « tant de textes cette année ; que la compétition fut âpre et cruelle ! » Mensonge ! Tous les ans, cinq ou six textes volent à mille pieds au-dessus de la masse et se partagent sans le moindre mal un podium à trois places. Ils sont des dizaines à mettre leur espoir dans dix pages et 15 000 signes, mais le résultat est si pauvre que je sens poindre en moi une forme de mépris. Très mauvais, ça, le mépris. Vite, passer à autre chose…”

Qui s’est fourvoyé un jour dans le jury d’un tel concours ne viendra par contredire Stéphane Laurent… On aurait même envie d’en rajouter. Parce que, si les concours de nouvelles attirent aujourd’hui ce tragique tout-venant, c’est aussi qu’ils sont légion, ces gentils organisateurs de “manifestations littéraires”, faisant croire aux écrivants du dimanche que l’avenir leur appartient. La “piétaille”, oui… Il faut, pour alimenter un concours – aussi pour certaines revues dites “de création” – tant et plus de chair à canon. Alors la grande illusion – “pourquoi pas moi ?…” –, l’engrenage…

 Aussi, pour le même prix, sans supplément sur les consommations, ce vade-mecum

 – Respectez à la lettre les Saints-Commandements peuplant les règlements :

“La Nouvelle se distingue des autres genres littéraires par ses qualités spécifiques :
Le sujet est original.
Elle n’est pas un récit de longue haleine s’étendant sur une vie, sur une guerre, sur des années. L’action embrasse une période de temps relativement courte (une heure, une journée, une semaine…)
Elle n’est ni légende, ni comte.
Les personnages sont peu nombreux.
Le rythme du récit est rapide et ne s’embarrasse pas de longs développements psychologiques et philosophiques.
Elle est ce difficile art de la concision, de l’essentiel, cette tension de l’écriture jusqu’à la chute qui fait souvent d’une anecdote un destin.”*

* [Authentique]

– Faites preuve du plus absolu fidéisme. Ne vous interrogez pas sur l’origine du texte sacré tant et plus photocopié, copié-collé. N’écoutez pas qui prétend que, pareil pensum faisant loi, Selby jr, Bukowski, Carver, Dixon ou Ravalec n’auraient pas publié une ligne.

– Soyez consensuels ! N’innovez en rien. Inspirez-vous du lauréat de l’année précédente, du texte dernièrement paru. Vous ravirez organisateurs et comités de lecture qui sont gens d’habitudes et augmenterez ainsi les chances d’arriver à vos fins. Tant pis si, au début de la longue chaîne à laquelle vous ajouterez un maillon sans surprise, était un texte de Quentin Flonflon. L’homme qui a écrit : “La porte fatiguée grinça de tous ses gonds alors que j’entrai l’âme en berne de joyeux rigodons ; hier, ici, je dansais sous les lampions.”

– Ne protestez jamais contre les thèmes imposés réduisant la nouvelle à un exercice de style puéril. Faîtes mine de vous réjouir quand vous lisez : “Cette année, le thème est… À la pêche aux moules… ; Quel beau dimanche !… ; Ça, c’est un vélo !… ; Dentier… ; Myosotis… ; Napoléon…”

De même, battez des mains aux incipit imposés : “À 6 heures, son panaris recommença à le lancer…” ; “Tout le monde était bien d’accord : il fallait remplacer la cloche de l’église…” ; “Si les Bogoliens continuaient de la sorte, la mobilisation deviendrait inévitable…”

À qui parle de “ploucoulipisme”, tournez prestement le dos.

– Chutez plan-plan. Cultivez la pirouette convenue :

La surprise de tante Aline
Tante Aline qu’on croyait pleine aux as, qu’on craignait dur qu’elle lègue tout au Petites Sœurs des Pauvres, ben elle avait plus un rond… l’avait tout croqué au casino…

Enfin réconciliés !
Voire… Ce ragoût que Monsieur apprécie tant, Madame, elle l’a préparé avec les meilleurs morceaux de Fidèle, le cabot de la discorde rapport à ce qu’il perd(ait) ses poils.

La chance de M. Georges
Georges, le clodo qui a trouvé un billet d’Euromillion dans le caniveau, après avoir rêvé dix pages de trois étoiles et de septième ciel, il le jette, le billet…

– Écrivez riche. Parcourez les dictionnaires des synonymes à la recherche des termes signalés “vieilli” ou “désuet”. N’écrivez pas : “Un emmerdeur !”, écrivez ; “Un esprit difficultueux…” ; n’écrivez pas “La crampe de l’écrivain”, écrivez “L’agraphie”, n’écrivez pas “Des nouvellistes alignant les formules”, écrivez “Des nouvelliers prolixes en apophtegmes”…

– Bannissez toute “vulgarité”, toute “pornographie”. Montrez-vous de bonne compagnie. Quand bien même le règlement ne le précise pas, l’élision morale est entendue. (Vulgarité et pornographie, c’est bien connu, ça troue le cul.) Eau de rose et parfums capiteux mis à part, rien ne doit suinter de votre plume. Vos personnages ignoreront tout de la grosse commission, idem pour la petite. Toujours, ils garderont leur slip.

– Et surtout n’oubliez pas : au royaume des écrivants-manchots, la couronne est promise à qui écrit avec les pieds.

Raymond CarverRaymond Carver (1938-1988)

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L’éditeur qui n’aimait pas les mots…

On reproche assez aux éditeurs leurs lettres de refus stéréotypées. On les présume suffisamment ne lisant pas les manuscrits arrivés par voie postale. On ne va donc faire grief de rien à qui, ayant lu, se fend au surplus d’un refus personnalisé… Oui, ils sont précieux ces qui-là permettant qu’enfin s’ouvre le débat.

Ainsi, un éditeur m’écrit :

“Votre récit manque cruellement d’épaisseur romanesque ; vous le faites exister par les mots, mais l’avalanche de ces derniers étouffe le lecteur. Nous ne sommes pas sensibles à votre écriture artiste, mélange de verve et d’érudition.”

Cher éditeur,

Certes, me sais décalé plus qu’à mon tour. Mais là… comment ai-je pu ? Des mots… j’ai fait exister un roman par des mots ! con de moi ! Inutile de vous dire ce à quoi je m’emploie en ce moment… plein la bouche !… pas des mots hein ! Des mots… choisis !… pour aggraver mon cas. Des mots suintant la verve, l’érudition… Haut le cœur ! Chapeau l’artiste ! Indécrottable bohème… je mourrai un jour dans mes mots, étouffé !… cerné d’insensibilité générale. Alors ce sera fini et je serais bien content.

Sincèrement.

Mots

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